Vincent Raulin, Directeur des Ventes et Services de Pricer France, examine le véritable potentiel du retail media, un marché qui ne cesse de prendre de l'altitude sur le marché publicitaire français.
Les distributeurs comprennent bien qu’il existe de nouvelles opportunités de revenus à exploiter tout au long de leur chaîne d’approvisionnement, à la fois sur leurs plateformes digitales et en magasins.
Le retail media continue de prendre de l'altitude sur le marché publicitaire français et pour la première fois, a franchi le palier symbolique du milliard d'euros en 2023, soit une croissance de 24 % et 12 % du marché publicitaire numérique hexagonal (Observatoire de l'e-Pub / Syndicat des Régies Internet).
Dans un marché du retail aujourd’hui extrêmement concurrentiel (quand ne l’a-t-il pas été ?), les distributeurs et les consommateurs croulent sous le poids de la hausse des coûts due à l’inflation, ce qui pousse les premiers à chercher des chemins inédits pour accéder à de nouveaux acheteurs et générer des sources de revenus supplémentaires.
Alors que pour des entreprises comme Amazon, Facebook/Meta et Google, le retail media en ligne est considéré comme un « business as usual » depuis de nombreuses années, le secteur de la distribution l’a découvert plus récemment. Des enseignes comme Walmart et Albertsons aux États-Unis sont référentes en la matière mais en Europe et particulièrement en France, certaines se sont aussi déjà particulièrement démarquées dans ce domaine.
Carrefour a été l'un des premiers à y investir massivement avec sa plateforme Links, qui permet aux annonceurs de cibler les consommateurs via des données précises issues de ses magasins et de ses activités en ligne. Le Groupe Casino, en collaboration avec Intermarché, a également créé Infinity Advertising, une régie publicitaire et data commune, ce qui a marqué une avancée significative dans le partage et l'utilisation des données clients pour optimiser les campagnes publicitaires.
E. Leclerc a aussi su s'adapter aux nouvelles tendances du retail media, notamment en exploitant sa large base de données clients pour des campagnes publicitaires ciblées. Mais le retail media n'est pas limité à la grande distribution alimentaire en France. Citons Decathlon, Sephora, Leroy-Merlin ou encore Boulanger, qui ont également investi avec succès dans le retail media en s’appuyant sur leurs plateformes digitales et leurs magasins physiques.
Les distributeurs, confrontés non seulement à des coûts opérationnels plus élevés, mais aussi à une pénurie de personnel, semblent enfin prêts à diversifier leurs activités en utilisant leurs forces existantes.
Le retail media, qui inclut des publicités ciblées sur les sites e-commerce, les applications mobiles, et les espaces publicitaires physiques en magasin, leur permet également de challenger leurs propres coûts de publicité digitale, toujours en hausse, et aussi de faire face à la baisse du retour sur leurs investissements publicitaires sur les canaux traditionnels numériques et sociaux, et sur les moteurs de recherche.
Il s’agit de prendre le contrôle sur leurs propres solutions pour obtenir des données comportementales plus granulaires et un meilleur engagement que la simple publicité en ligne.
Maximiser les achats spontanés
Et il n’est pas là seulement question d’argent. En magasin, le retail media – via les offres promotionnelles, les ventes flash, la disposition des produits près des caisses ou encore les recommandations personnalisées – permet de transformer l’expérience client, renforcer la notoriété de la marque et influencer les décisions d’achat directement au point d’achat, au moment et à l’endroit exacts où l’acheteur est sans doute le plus prêt à passer à l’acte d’achat.
Au niveau mondial, une étude Worldmetrics indique que 40 % des dépenses e-commerce sont impulsives et que les consommateurs dépensent en moyenne 40 % de plus en magasin physique lors d'achats spontanés par rapport aux achats planifiés. L'achat spontané est un phénomène aussi bien ancré en France, tant en ligne qu'en magasin, avec des stratégies commerciales qui cherchent à maximiser ce comportement pour augmenter les ventes.
Le retail media en magasin (ou le magasin en tant que média) jette un regard neuf sur le potentiel des rayons et des allées pour promouvoir les marques, Retail Touchpoints rapporte en particulier une augmentation des ventes allant jusqu’à 35% dans le monde.
Le retail media s’appuie donc sur la pratique ancestrale de la promotion au point de vente, mais celle-ci est maintenant transformée par les nouvelles technologies. Je pense à des publicités numériques hautement ciblées sur les écrans de télévision, les bornes en vitrine du magasin, la signalisation entre les allées, les étagères numériques, l’organisation des allées de caisse, les terminaux de caisse automatique, les chariots intelligents, et autres connexions simples avec les clients via des applications pour smartphones et des QR codes.
Sans oublier les étiquettes électroniques, véritables clones digitaux des produits, qui ouvrent des canaux de communication aux enseignes et aux marques, ultra ciblés, ultra rapides et faciles à déclencher.
La professionnalisation sera essentielle
Cette liste de technologies implique immédiatement de la complexité et il est important pour les distributeurs de comprendre l’importance d’une stratégie de gouvernance, d’autant plus que, bien fait, le retail media peut combler l’écart entre le on line et le off line. Lorsque les consommateurs retournent dans les magasins, ils s’attendent à une intégration beaucoup plus importante des expériences qu’ils ont vécues en ligne.
Et ils veulent aussi beaucoup plus d’informations sur les produits, cela qui doit changer non seulement la façon dont ils sont affichés et promus, mais peut-être même la façon dont ils sont emballés. Et à l’heure actuelle, il semble qu’ils n’obtiennent pas toutes les informations et l’aide dont ils ont besoin. Une étude de Pricer montre que 57% des consommateurs aimeraient avoir plus d’accès aux détails des produits en plus des prix, tandis que 49% aimeraient plus d’affichage numérique en rayon.
L’aide dont ils ont besoin dépend bien sûr du type de produits qu’ils recherchent. Le rapport Pricer suggère qu’il est particulièrement important d’obtenir de l’aide pour les articles complexes, les marques à forte considération ou à prix élevé, pour lesquels les acheteurs veulent pouvoir accéder à une information prête à l’emploi et spécifique de façon digitale au point d’affichage.
Six sur dix (61 %) ont déclaré que l’accès à l’information produit digitale devenait de plus en plus importante à mesure que le prix des articles augmente, tandis que 45 % ont remis l’achat d’un produit complexe ou envisagé de longue date lorsqu’il n’y avait pas suffisamment d’information produit disponible.
Il est clair dans le contexte d’un client plus exigeant que, compte tenu de la gamme de technologies impliquées, de la nécessité d’engager et de mesurer cet engagement, et de la complexité inhérente à la conception et à l’exécution de campagnes, les distributeurs ont besoin soit de l’aide de nouvelles agences émergentes, soit de construire eux-mêmes leurs propres pratiques dédiées, comme la plupart le font maintenant.
Avec sa plateforme retail media, Carrefour combine les données issues de son programme de fidélité Carrefour Loyalty avec d'autres sources de données pour offrir des publicités ciblées aux marques. La plateforme permet d'atteindre un large public via divers canaux, y compris en magasin et en ligne, en exploitant les données de plus de 15 millions de membres inscrits à son programme de fidélité.
La professionnalisation de la planification et de l’exécution sera essentielle. Alors que les supermarchés et les produits de consommation courante dominent actuellement le retail media, de plus en plus de marques s’y essaient et sont en mesure d’apprendre rapidement grâce à l’expertise d’un nombre croissant d’agences et de divers outils logiciels disponibles.
Le succès futur dépendra également de la diversification, comme la publicité endémique, ou la promotion de services plutôt que de produits, comme les événements sportifs, les assurances, les services vétérinaires, etc. 45% du volume de vente généré par Amazon Display est réalisé sur des ventes non Amazon.
23% du volume de ventes obtenus par les marques et produits sponsorisés sont réalisés sur des ventes hors Amazon, selon par Analytic Partners. Et il n’y a aucune raison pour que les distributeurs ne puissent pas se diversifier de cette façon, car ils disposent non seulement de leurs bases clients, quantitatives, mais aussi de données approfondies pour personnaliser leurs promotions.
La forte courbe de croissance du retail media est donc séduisante pour les analystes et les consultants qui s’intéressent à ce nouveau marché glamour, mais pour les distributeurs, le travail acharné commence à peine. S’engager plus profondément avec leurs clients est le meilleur moyen de mieux les comprendre et de mettre en place une communication - actuellement largement unidirectionnelle - plus démocratique.
Cependant, l’exécution et la gestion nécessiteront une nouvelle génération de spécialistes marketing, de nouveaux processus et des logiciels programmatiques qui font actuellement défaut dans le retail. Avec le temps, l’IA, qui permet un ciblage encore plus précis, une personnalisation des campagnes publicitaires en temps réel et une analyse enrichie, pourrait bien aussi automatiser une grande partie du travail, mais seulement si elle est guidée par une stratégie bien pensée.
Publié à l'origine sur JDN